L'immersif

Publié le par Blof

J'ai rencontré il y a peu de temps un artiste qui monte des pièces de théâtre de rue immersif à un seul spectateur. Il faut le réveiller, réveiller les sens et les émotions de cet individu moderne endormi, spectateur trop passif et amorphe d'une vie cadrée dans une société toute réglée et administrée. Ce qui est "underground" (selon les dires enthousiastes de cet dernier) sera le commun de demain, les techniques indispensables pour réveiller ce citadin azimuté qui doit, pour supporter cet environnement anxiogène et agressif, éteindre ses sens et émotions. Il faut savoir le réveiller au sein d'espaces imaginaires et en quelques sortes protégés pour le maintenir en vie. La consommation, des objets à l'individu, rentre dans l'expérience elle-même. Nous n'offrirons plus un cadeau mais une expérience, expériences qui colleront alors peut être enfin à ces profusions d'images et histoires dont on nous abreuve, qui nous maintiennent en haleine et nous font désirer un instantané pré-codifié. 

Amusant aussi d'entendre cet artiste se dire "underground" et "révolutionnaire" quand le marketeur s'engage dans la même démarche et présente à un L'Oréal avide et enthousiaste ces nouvelles stratégies de marketing immersif. Nous ne vendons plus des produits, nous vendons une expérience unique. 

Constat finalement toujours égal d'espaces innovants qui se répètent, encore embryonnaires et qui ne se croisent pas, qui ne voient pas que chacun tire de son côté pour maintenir in fine un certain équilibre entre militants/acceptants et qui tous répondent aux mêmes besoins. C'est finalement une même opposition pour des usages innovants qui ne changeront pas nécessairement l'équilibre existant. Que ce soit dans ces stratégies immersives, dans ces mouvements queer et transhumanistes, dans ces localismes et circuits courts ou encore dans la "sharing economy". 

La seule position qui me paraît aujourd'hui tenable est de se situer dans l'entre deux monde, permettant de croiser et de voir les redites dans ses espaces qui se veulent pourtant si opposés. Volonté de les rassembler et confronter pour préciser ce qui arrive, au delà d'une fascination de tout un chacun face à sa propre audace. Prendre la position du "psychohistorien" d'Asimov si l'on veut pour rire de cet individualité tant avancé pour répondre à un mouvement inexorable. 

Il y a une envie profonde de plonger dans cet inconnu et ses nouveaux fascinants, de m'inscrire dans ce mouvement d'innovation technique et politique mais il y a toujours cependant quelque chose qui me retient et qui va je l'espère au delà de la peur : une forme de retenue, de perception du danger qu'il y aurait à répondre aux besoins, aux dysfonctionnements et manques d'un monde que je ne peux approuver. Donner ce qui manque, combler les trous, n'est-ce pas le renforcer ? Le stabiliser ? Lui apporter quelques solutions palliatives et dangereuses à des problèmes pourtant structurels ? dont on ne ferait que repousser la résolution réelle voire même surtout rendre celle-ci inévitablement plus violente et douloureuse, plus mal-aisé ?

 Mais en même temps, qui peut avoir l'arrogance de croire que l'on peut s'opposer au "flux" si l'on veut employer des termes à la mode ? La plus grande leçon de Foucault ne serait-elle pas finalement, avec et contre lui, que l'on ne situe jamais "hors de" et qu'il faut bien accepter sa place et s'inscrire dans ce mouvement pour essayer d'y insufler quelques déviations. La fondation, c'est anticiper et influencer, c'est préparer, l'individu étant bien trop insignifiant pour briser un mouvement aussi puissant. 

 

 

 

 

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