Pourquoi l’éjaculation féminine est-elle encore un mythe ?

Publié le par Blof

Lorsque j’ai choisi d’entreprendre ce sujet, j’avais découvert il y a peu que l’éjaculation féminine n’était en réalité pas un mythe mais existait bel et bien. Que des femmes émettaient parfois durant l’acte sexuel un liquide, pouvant être très abondant et se distinguant sans conteste de la lubrification vaginale « classique » dirons-nous. Si j’avais entendu parler des femmes fontaines ou de l’éjaculation féminine, cela restait une sorte de mystère non résolue et surtout non questionnée. Au moment de me renseigner sur la question, à travers internet, j’ai découvert que non seulement c’était un phénomène bien réel mais que ce dernier était entouré d’une sorte de mystère où de nombreuses questions demeuraient sans réponse. Au delà d’un accord partagé sur sa qualification de mythe ou mystère et quelques références à des mythologies et écrits anciens, la science n’avait semblait-il pas encore bien déterminée ce que pouvait bien être ce liquide là, si cette réaction pouvait avoir lieu chez toutes les femmes ou non et ce que cela signifiait. Même l’appellation n’était pas déterminée. Ejaculation féminine, femme fontaine, squirting, ces trois mots étaient utilisées parfois indifféremment, parfois séparément, l’éjaculation féminine devenant alors un phénomène distinct de la femme fontaine chez certains chercheurs et le squirting un terme parfois réservé à la pornographie ou plus encore à une pratique, queer et volontaire.

A ce terme était souvent associé celui du point G dont le caractère mythique ou non était également questionné. Ainsi, au delà d’un orgasme clitoridien avéré et plus discuté, l’orgasme féminin pouvait éventuellement se décliner également en « orgasme vaginal », « orgasme du point G » et « éjaculation féminine », ces dernières catégories étant toutes questionnées dans leur véracité. Mais pourquoi ? Pourquoi, à une époque où la science nous ouvre le cerveau et nous greffe des cœurs artificiels, le plaisir féminin serait-il encore entouré d’un halo de mystère ? Comme si la science, sur ce sujet là, ne pouvait déchirer le voile d’un impénétrable féminin. Il arrive que l’on s’offusque de la méconnaissance, au sein de la population et en particulier chez les femmes, de l’appareil génital féminin. Les femmes ne connaitraient pas leur corps. Mais si l’on se penche sur la question, on découvre alors que cette méconnaissance est aussi une méconnaissance scientifique de la chose. Et que le fonctionnement du plaisir en est quant à lui encore sujet à des débats des plus élémentaires. Comment expliquer cela ? Pourquoi, quand l’obtention d’un orgasme est devenue une sorte de nécessaire conformité social pour la femme, l’orgasme féminin lui-même, dans ses manifestations physiologiques, est abordé à travers le filtre du mythe (à l’exclusion du clitoris).

L’éjaculation féminine, contrairement au point G ou au plaisir vaginal, a finalement été très peu abordée, que ce soit chez les féministes, les scientifiques ou médiatiquement. On trouve en réalité très peu d’écrit sur la question. Quelles qu’en soient les raisons (faible nombre de femmes concernées, tabou particulier associé à cette catégorie, …), cela a pour conséquence une visibilité accrue des mécanismes normatifs sous-jacents.

Dans les discours autour du point G ou de l’orgasme vaginal, le caractère mythique de ces catégories est souvent de deux ordres : physiologique et psychologique. Physiologiquement, si toutes les femmes ne disent pas ressentir d’orgasme vaginal ou du point G, ne serait-il pas possible que cela ne soit qu’affaire de perception ? de psychologie ?

Dans le cas de l’éjaculation féminine, cette catégorie est non seulement un plaisir ressenti (donc on questionne la réalité et l’intensité, du stade de l’excitation à celui d’orgasme acméique) au même titre que le point G ou l'orgasme vaginal mais s’assimile surtout à un phénomène bien visible.

Ce phénomène serait donc indéniable. Il y a bien des femmes qui émettent durant un acte sexuel un liquide spécifique. Et ce phénomène n’est pas seulement contemporain à notre époque et notre société mais existe aujourd’hui au Rwanda par exemple où c’est même quelque chose de banal, voire de souhaitable et est attesté par des écrits anciens (que ce soit dans le kamasutra indien, etc etc etc..). Un article dans Sexual medecine est même consacré à détailler les différentes références au phénomène de l’éjaculation dans l’histoire, en particulier de la médecine, et conclut en s’exclamant donc : "ce phénomène est bien réel et pourtant la communauté scientifique continue à interroger le fait que cela soit un mythe. Peut-être faudrait simplement pousser les recherches sur la question et arrêter de s’interroger sur son existence".

Car en effet, les articles scientifiques posent la question constamment : l’éjaculation féminine existe-t-elle ?

Ainsi, la première chose à comprendre ici et qui n’est pas si anodine, est que l’ « existence » de l’éjaculation féminine ne se rapporte pas seulement à son phénomène. En réalité, elle repose également sur son inscription dans le « réel », par là j’entends un objet définissable, délimité et nommé qui peut être pensé. Et cette définition, délimitation et nomination semblent aujourd’hui reposer sur le discours scientifique.

(On peut faire une analogie quelque peu étrange mais intéressante avec la vache de l’agriculteur. Comme l’explique XXX dans un article[1], la vache a un statut d’ « être vivant technicisé », c’est à dire dont l’existence est rattachée à son existence physique ET à son inscription administrative. Les philosophes ont beaucoup débattu du statut du langage, du concept et du réel mais nous ne rentrerons pas dans ces questions. Ce qui nous intéresse est le processus même qui se cache pour donner ce statut d’existence et de réalité à un phénomène associé au plaisir féminin et à l’orgasme. )

Et c’est autour de sa définition, délimitation et nomination que les questionnements demeurent et sur celles-ci que reposent le mystère de l’éjaculation féminine.

Ces trois dimensions sont liées et donc difficiles à présenter de manière différenciée mais nous allons tenter de résumer les questions qui se posent autour de ces trois aspects là.

Le terme d’éjaculation féminine est-il approprié ?

En effet, le premier et principal débat scientifique sur cette question repose sur le terme même employé. Peut-on vraiment employer le terme d’éjaculation ? Est-ce le bon mot ?

On voit ici tout de suite à quel point la question est profondément reliée à l’assimilation de l’éjaculation à l’éjaculation spermatique masculine. L’éjaculation est par essence masculine. L’adjectif féminin apposé à notre objet est là pour signifier que si éjaculation il y a chez la femme, elle n’existe que par comparaison à une éjaculation masculine ou comme sous-catégorie de l’éjaculation.

Chez la majorité des auteurs, l’éjaculation est nommée comme telle parce que le liquide expulsé contiendrait des enzymes prostatiques similaire à celles du sperme. Ces enzymes là seraient en réalité produites par une prostate féminine (là encore en sous-catégorie) qui serait également appelée la glande de skene. Il est amusant de noter que dans ces articles la question de la comparaison conduit généralement à des échelles de valeur distinctes très fortement genrée, avec une prostate féminine « plus petite », un liquide qui contiendrait des « traces » de, à caractère non reproductif etc etc.. tout comme le clitoris serait un pénis atrophié, l’éjaculation féminine serait une éjaculation de basse qualité.

La quantité expulsée et la force du jet, qui peuvent varier, peuvent cependant être très abondant et le jet très puissant. cette quantité ou force viendrait bouleverser l’ordre du genre et de l’éjaculation. Il est alors intéressant de voir que chez les auteurs où les dimensions de comparaison (avec l’ « éjaculation ») sont les plus fortes, ces derniers finissent par montrer qu’en réalité il existerait dans ce phénomène deux sous-phénomènes dont l’un serait l’éjaculation proprement dite et le second un phénomène de « femme fontaine » ou « suiqrting » selon les auteurs. L’éjaculation restante serait alors ce qu’il y a de plus « pur », la production prostatique, blanche, au enzyme prostatique, et qui finit chez certains auteurs par devenir généralisable à toutes les femmes mais invisibles chez la plupart. Ce phénomène de l’éjaculation, (qui a alors retrouvée son infériorité théorique en terme de taille, quantité, visibilité) est en effet aussi « purifié » d’un des éléments les plus dérangeant pour les chercheurs que sont les traces d’urine dans ce liquide. En effet, la distinction en deux phénomènes purifierait l’éjaculation d’une sous-catégorie qu’on pourrait assimiler à de l’urine et replacerait la version féminine dans une infériorité structurelle mais purifiée. Le reste du liquide serait alors la trace impure, cette fois abondante, d’un liquide assimilable à de l’urine dilué et qui ne pourrait être qualifié d’éjaculation, à moins de simplement faire une analogie quant au « jet ».

Cette question de l’urine est en effet centrale dans les interrogations autour de l’éjaculation féminine. L’origine médicale même de cette catégorie provient de recherches américaines par une chercheuse qui découvrit que des femmes se faisaient régulièrement opérer et même traiter pour incontinence urinaire, incontinence qui ne surviendrait que lors d’acte sexuel. Le fait que cette « incontinence » n’ait lieu que durant l’acte sexuel et soit associé à du plaisir conduisit ces chercheurs à étudier ce liquide, y trouver ses traces d’enzyme, le distinguant ainsi de l’urine et d’une incontinence.

Car en effet, il n’existe aucune corrélation ente incontinence urinaire et éjaculation féminine. Mais l’éjaculation féminine pourrait-elle être réellement assimilable à de l’urine ?

Si l’on regarde bien les résultats des recherches depuis 30 ans sur la question, on se rend compte en premier lieu que c’est LA question qui taraude principalement les chercheurs, et en second lieu que la réponse varie finalement assez peu. Il existe des traces d’urine, la plupart du temps en très faible quantité. Sauf qu’il semble que le reconnaître conduise immédiatement à questionner 1- le caractère dans ce cas pathologique du phénomène, 2 – son caractère déviant, 3 – à remettre irrémédiablement en cause son assimilation à de l’éjaculation féminine.

En réalité, lorsque la question de l’existence de l’éjaculation féminine est posée, c’est la question de l’urine derrière qui s’y trouve. L’urine semble être une sorte alors de tabou indépassable dans la sexualité et sa présence absolument incompatible avec la noblesse si l’on veut de l’éjaculation reproductive.

Ainsi, de nombreux discours cherchant à légitimer cette pratique s’acharnent à distinguer l’éjaculation féminine de l’urine de manière absolu et les chercheurs soient à ne pas étudier la question pour en étudier d’autres aspects pour valider l’ « éjaculation » tandis que d’autres y recherchent l’urine qui conduit à en refuser l’appellation. Un entre-deux qui reconnaitrait la présence d’urine, parmi d’autres choses, dont ces enzymes prostatiques, bref, le caractère hybride et surtout nouveau, comme une combinaison de choses existantes, et d’autres, semble impossible à penser.

A cette question de l’urine vient s’ajouter celle de la responsabilité des femmes, en particulier dans le cas où ces dernières sauraient, d’une manière ou d’une autre, que c’est un plaisir d’ordre « urétral » et donc par conséquent déviant.

La responsabilité des femmes repose sur un constat physique qui est que ce phénomène, extérieur, n’arrive pas chez toutes les femmes, loin de là. La science doit donc résoudre cette question. Elle contribue en effet à l’existence du mystère. Mais pourquoi pas toutes ?

C’est alors que la science, dans les recherches observées, nous montre à quel point cette dernière est entrelacée à des questions morales et normatives. Et se trouve aussi coincée par son besoin d’essentialiser ces objets.

Sur le plan scientifique, ce phénomène doit forcément pouvoir s’expliquer sur un plan physiologique et mécanique : soit c’est une particularité (physiologique) qui alors s’apparente à une déviation par rapport à la norme ; soit c’est une réaction mécanique généralisable et il reste à comprendre pourquoi cela n’arrive pas à toutes les femmes (car finalement, la stimulation, grossièrement, ne semble pas bien différente d’un acte sexuel à l’autre). Les réponses qui complètent alors ces constats « scientifiques » deviennent alors profondément morales et normatives.

A cette dimension : généralisation ou exception, se combine souvent le caractère déviant ou non (de son assimilation à de l’urine).

Dans le cas où l’éjaculation serait bien de l’éjaculation, « noble » et non déviante, la préoccupation se porte alors sur les femmes qui n’éjaculeraient pas. Si c’est une particularité, la question est réglée. Cela crée en revanche une sorte de catégorie de « sur-femme » qui pour être une exception, que ce soit dans l’ordre féminin ou masculin, n’en demeure pas moins une déviation par rapport à la norme et donc conserve une forme de déviance.

Si c’est une généralité, cela revient alors à stigmatiser les femmes qui n’auraient pas cet orgasme là et la distinction devient alors psychologique.

Dans le cas où l’éjaculation est surtout de l’urine et « déviante », la préoccupation se porte alors sur le femmes qui éjaculent.

Soit c’est une particularité et alors, hormis si la femme est satisfaite de sa situation, on peut considérer ce phénomène comme une pathologie à soigner.

Soit c’est une généralité mais alors que dire des femmes à qui cela arrivent. Il existe alors deux catégories. Il y a celles qui contrôlent et celles qui ne contrôlent pas et il y a celles qui savent et ne savent pas. C’est toute la question de l’identité déviante qui est en réalité posée. La déviance inhérente au phénomène vient-elle s’inscrire dans l’identité de la femme elle-même ?

Elle en porte les premiers stigmates mais est-elle une victime ou une déviante ? Ne pas savoir et ne pas contrôler absout, savoir et contrôler accuse et l’entre-deux laisse perplexe. C'est d'ailleurs souvent la raison pour laquelle beaucoup de femmes concernées par la question hésite : ne pas maitriser pour être excusé ? Ou apprendre à contrôler pour éviter de devoir s'excuser ? Le contrôle ou non de l'éjaculation a alors pour variable clé la perception de l'éjaculation féminine et de son inscription identitaire chez la femme elle-même. La responsabilité des hommes est souvent également engagée. Sauf que lui soit s’amuse sournoisement ou innocemment soit en est la victime. Dans les deux cas, il ne porte pas la déviance elle-même, il en est juste plus ou moins responsable et il peut éventuellement en être souillé.

En présentant le sujet dans cet ordre là, on pourrait croire que de l’explication scientifique découle l’explication morale et normative. Pourtant, le processus est élaboré conjointement. La conviction morale est souvent à l’origine de la recherche (et de son angle d’approche) et est en réalité au coeur du débat. Dans ces débats moraux se trouvent également la question d’une sexualité mécanique et rationnelle. Le plaisir est-il avant tout psychologique ? Ou simplement mécanique ? Deux conceptions s’opposent alors.

Par ailleurs, en toile de fond se projette l’image constante et répétée d’une femme fragile, faible, facilement impressionnable ou traumatisable et qu’il faut à la fois savoir écouter et guider. A qui il faut faire attention, que ce soit en qualifiant de pathologie ou sinon en stigmatisant celles qui n’y arrivent pas. Finalement, c’est comme si la science était effrayée dans ce cas de son pouvoir normatif. Ou se trouvait au prise avec des affrontements normatifs car c’est finalement la science qui dit la norme et qui le sait.

Certains chercheurs tentent de sortir du débat en s’intéressant aux femmes même et à leur plaisir pour déterminer le caractère pathologique ou non. Etes-vous contente ? Cela vous procure-t-il du plaisir ? Si oui, ce n’est pas pathologique et si non, ca l’est. Raccourci dangereux qui peut conduire, si l’on reconnaît le poids de la norme sur la perception des sensations elles-mêmes, à une soumission encore plus grande à une norme sociale prescriptive, qui se renforce elle-même.

En réalité, peut être la science devrait-elle être remise à sa juste place ? Et ne pas chercher à jouer les apprentis sociologues ou moralistes ? Peut être est-il nécessaire d’accepter la pluralité des dimensions explicatives ?

En premier lieu, la fixation organique du plaisir et ses manifestations est en partie sociale ! En deuxième lieu, peut être faut-il accepter la diversité des corps et réactions plutôt que de chercher à fixer une norme ! En troisième lieu, peut être faut-il accepter d’arrêter d’opposer rationalité et psychologique (c’est le social qui les lie en partie).

[1] Résumé de l’article « En chair et en chiffres. La vache, l’éleveur et le contrôleur » de Nathalie Joly et Jean-Marc Weller, tiré de la revue Terrain n°53, sept 2009, pp. 140-153

Publié dans sexualité

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